Antigel, le festival itinérant qui déplace la culture genevoise
A la fin du festival Antigel, le 19 février 2017, les 104 spectacles de sa programmation auront été présentés dans 22 communes du canton. Un festival au territoire élargi qui secoue et séduit chaque année un public de plus en plus nombreux, en mêlant programmation originale et lieux atypiques.
La 7ème édition du festival Antigel bat son plein, confirmant le succès de sa formule originale. Est-ce en foulant les berges du Rhône qu’Eric Linder, l’artiste Polar à la scène, ancien champion de demi-fond, a imaginé l’idée d’un événement pluridisciplinaire comme lui ? Est-ce l’ivresse des perspectives fluviales qui a poussé ce natif d’Onex à s’éloigner des pôles traditionnels de la culture ? Dans tous les cas, grand bien lui en a pris : la programmation d’Antigel, défricheuse de talents ardents, réchauffe chaque hiver les cœurs genevois et s’impose comme un rendez-vous européen reconnu.
Une vision inédite
La région genevoise évolue et se développe constamment. Comme dans de nombreuses autres villes européennes, le développement démographique, la mobilité ou l’urbanisme occupent les débats. Autant d’enjeux qui interrogent la place de la culture dans la redéfinition de la ville. C’est pour accompagner ces mutations qu’Antigel s’est d’emblée déployé dans un périmètre élargi. Depuis, ce festival arachnéen tisse progressivement sa toile, invitant dans sa danse les partenaires locaux et les artistes du terroir. Des endroits insolites sont réquisitionnés pour accueillir les artistes invités du festival ou les créations sur-mesure du label Made in Antigel. Le public, ravi de découvrir ce patrimoine insoupçonné, augmente chaque année. Un pari logistique permanent, récemment salué par l’octroi de nouvelles subventions. Cette reconnaissance prouve que la culture, au-delà du divertissement, entretient le lien essentiel et fragile entre les préoccupations des acteurs locaux, les politiques cantonales et les initiatives privées.
Les parfums variés de la programmation
En matière de programmation, Antigel a sorti les brise-glaces. À l’affiche cette année, la chorégraphe Maguy Marin clôturait la tournée son spectacle phare, Umwelt.
Venu spécialement de San Francisco, le Kronos Quartet, fine fleur de la musique classique contemporaine, se produira au tout aussi racé Victoria Hall.
Les amateurs de techno berlinoise se déplaceront à Vernier pour écouter le trio Moderat à quelques kilomètres de Genève, pendant que le Grand Central, dancefloor du Festival basé dans une friche industrielle, accueillera les avant-postes du hip-hop américain. La Monstrueuse Parade, un projet costumé « Made In Antigel », déroule de son côté le tapis rouge aux artistes en herbe: le 4 février, associations parascolaires et maisons de quartiers uniront leurs forces pour revisiter la tradition carnavalesque à Meyrin.
Toujours sous le label des créations maison, Very Bat Trip plongera les spectateurs dans les méandres souterrains d’une champignonnière. En exclusivité cette année, les Journées de danse contemporaine suisse donneront un bel aperçu de la scène locale. « De manière générale, nous sommes sensibles aux talents qui débroussaillent et renouvellent la création suisse, » défend Eric Linder en citant le duo genevois Hyperculte.
Décloisonner les disciplines
L’affiche d’Antigel, qui mise à la fois sur les talents suisses et les artistes de renommée mondiale, est avant tout le miroir de son époque. Son public est moderne et citadin. Il fait du sport le matin et se cultive le soir. Il est bon vivant mais soucieux de l’environnement. C’est pour refléter ces pratiques qu’Antigel propose des formules combinées : une course pédestre nocturne et musicale, un concert de folk accompagné d’un menu du terroir, une séance de « yoga soundsystem ». Une stratégie maison qui profite à tout le monde : « Il faut être créatif parce qu’aujourd’hui les spectateurs ont beaucoup d’attentes. Proposer des activités culturelles à valeurs ajoutées - dégustation, sport, brocantes - encourage les curieux à prendre le bus un mardi soir pour aller découvrir un artiste inconnu dans un lieu déroutant. » Créer de nouvelles passerelles entre les différentes pratiques du public : une signature Antigel qui fédère efficacement les ressources locales aux talents internationaux de la programmation.
Des lieux emblématiques
Une audio-promenade nocturne dans les bois, des soirées électro-aquatiques dans des bains thermaux, une roller-skate party dans une halle ferroviaire, un Nouvel An chinois dans une usine de recyclage, un concert de soul dans un terminal d’aéroport….
C’est une véritable exploration à laquelle se livre chaque année l’équipe d’Antigel pour dénicher ses repaires d’exception. Un déploiement qui s’articule néanmoins autour d’un espace commun, le Grand Central. Installé dans une tour CFF du quartier de Pont Rouge, ce lieu de convergence, habillé de feu par l’artiste pop Camille Walala, héberge les soirées noctambules du Festival, mais également un restaurant, des foodtrucks, une bourse aux vinyles, des concerts.
En 2016, ils étaient 16 000 à braver la distance et le froid pour venir communier dans ce temple festif. Eric Linder en mesure la portée symbolique : « Le Grand Central est au cœur du quartier « PAV », le gigantesque projet urbain de Genève. La tour sera démolie, mais nous sommes fiers de représenter la culture et ses enjeux auprès des constructeurs et des politiciens de la ville de demain. »
Connexions internationales du festival
Les spécialistes sont formels : la courbe de croissance du festival Antigel poursuit sa trajectoire exponentielle. Sur les 550 pages de la revue de presse de l’édition 2016, nombreuses étaient dédiées aux reconnaissances des médias alémaniques et internationaux. Cette année, les hasards du calendrier sont heureux, puisque les Journées de danse contemporaine suisse (JDCS), plateforme incontournable de promotion, auront lieu dans le cadre du festival. Pour l’occasion, Antigel - qui a toujours fait la part belle à la danse - s’offre une semaine supplémentaire. « 300 programmateurs internationaux se déplacent pour l’occasion. C’est une opportunité exceptionnelle de leur faire découvrir le festival et d’élargir notre réseau à l’étranger. » On leur souhaite de belles surprises.
Par Salomé Kiner