Header

La banque de gènes nationale, gardienne de la biodiversité de demain

L’avenir de l’humanité dépend de la diversité des espèces vivant sur notre planète, qui assurent aux générations présentes et futures une source d’alimentation ainsi qu’un environnement sain. En Suisse, de nombreuses variétés de plantes sont conservées à l’intérieur de la banque de gènes nationale d’Agroscope, le centre de compétences de la Confédération pour la recherche agricole.

Agriculture intensive, changement climatique, pollution … En Suisse comme ailleurs, la biodiversité est menacée par la dégradation des écosystèmes. Afin de contrer cette tendance, la conservation de nos ressources génétiques joue un rôle clé. Différentes techniques permettent ainsi la « mise en boîte » de la biodiversité agricole végétale : alors que de nombreuses collections en plein champ regroupent des espèces cultivables et sauvages, d’autres plantes se conservent en laboratoire ou encore sous forme de graines. A Changins (Vaud), Agroscope héberge deux bibliothèques de ressources génétiques : céréales, légumes et plantes aromatiques sont abritées dans une banque de graines, tandis qu’arbres fruitiers, pommes de terre et vignes sont précieusement gardés dans les éprouvettes d’un conservatoire in vitro.

Portrait

La bibliothèque aux mille et une ressources

Cyril Schnewlin, collaborateur d’Agroscope, ouvre la porte de la banque de graines : des dizaines de cageots sont alignés sur les étagères de la chambre froide à 4 °C. Après avoir choisi une caisse, il en sort un petit sac en papier avec l’étiquette « Avondefiance ». A l’intérieur du paquet se trouve un échantillon de graines de laitue, conservé comme 13 000 accessions – des échantillons collectés à un endroit et à un moment donné – de céréales, légumes et autres plantes cultivables. « C’est une bibliothèque de semences viables, explique Cyril Schnewlin, qui attendent d’être ressorties des rayons et mises en terre. » Ces archives vivantes sont plus que centenaires et les variétés collectées au début du 20e siècle y sont encore disponibles. Les usagers de cette bibliothèque génétique sont variés : de temps à autre, des chercheur.e.s y puisent d’anciennes variétés afin d’effectuer des croisements débouchant sur des céréales cultivables mieux adaptées au climat ou plus résistantes aux maladies. La banque de graines alimente aussi des expositions dans les jardins botaniques de Suisse et est appréciée des agriculteurs et agricultrices à la recherche d’anciennes variétés locales.

Des échantillons d’amidonnier – l’une des plus anciennes céréales cultivées par l’être humain – sont conservés à l’intérieur de la banque de gènes © Agroscope
Des échantillons d’amidonnier – l’une des plus anciennes céréales cultivées par l’être humain – sont conservés à l’intérieur de la banque de gènes © Agroscope

 

La visite de la banque de graines se poursuit au sous-sol du bâtiment. Afin d’assurer la conservation des semences au fil des années, Cyril Schnewlin et ses collègues entreposent celles-ci dans un congélateur géant à - 20 °C. Au préalable, les échantillons sont séchés pendant plusieurs jours puis emballés sous vide dans des sachets en aluminium. Ainsi, certaines céréales peuvent être stockées jusqu’à 50 ans sans perdre leur capacité de germination. Chaque année, des variétés choisies sont mises en terre : les graines ensuite récoltées permettent de renouveler la collection de céréales et de plantes potagères pour les décennies à venir. La banque de graines recèle de curiosités comme le « blé poulard », appelé « blé de miracle » à la fin du 19e siècle en raison d’épillets surnuméraires qui laissaient croire à un meilleur rendement. Parmi les trésors de cette bibliothèque phytogénétique figurent aussi l’égilope – l’une des plus anciennes céréales cultivées par l’être humain – et le ribelmaïs – un maïs présent dans la vallée du Rhin depuis de nombreuses générations.

1 000 échantillons de céréales sont mis en terre chaque année : les graines ensuite récoltées permettent de renouveler la collection de la banque de gènes pour les décennies à venir © Agroscope, Carole Parodi
1 000 échantillons de céréales sont mis en terre chaque année : les graines ensuite récoltées permettent de renouveler la collection de la banque de gènes pour les décennies à venir © Agroscope, Carole Parodi

Le monde en éprouvettes

Après les chambres froides de la banque de graines, le conservatoire in vitro offre un contraste saisissant : les étagères sont toujours là mais les cageots de semences font place à de petites éprouvettes baignées d’une lumière claire. A travers ces tubes à essai transparents se dessinent de minuscules plantes enracinées dans un substrat gélifié. Citron, clémentine, fraise, framboise, mélisse et origan sont autant de « bonsaïs » qui remplissent les éprouvettes du laboratoire. 400 accessions de plantes constituent ainsi un réservoir à l’intérieur duquel la filière agricole a la possibilité de puiser des ressources en cas d’aléas climatiques ou de cultures décimées par des maladies.

Des agrumes comme la clémentine et le citron sont conservés dans des éprouvettes, à côté des herbes aromatiques et des petits fruits © Agroscope, Carole Parodi
Des agrumes comme la clémentine et le citron sont conservés dans des éprouvettes, à côté des herbes aromatiques et des petits fruits
© Agroscope, Carole Parodi

 

« Grâce à la culture in vitro, la multiplication des plantes peut aussi être accélérée, car l’on dépend moins des saisons », note Eric Droz. A titre d’exemple, le chercheur cite la pomme de terre, dont la multiplication est jusqu’à 100 fois plus rapide en laboratoire qu’en pleine terre. Concrètement, lorsque la plante à l’intérieur d’un tube a suffisamment grandi, elle est découpée en petits segments comprenant chacun un bourgeon, et ceux-ci sont placés à leur tour dans une éprouvette. Cette manipulation nécessite beaucoup de précision et se déroule dans un environnement complètement stérile. En plus de faciliter grandement le travail des équipes de recherche en fournissant du matériel végétal en peu de temps, la culture in vitro donne aussi la possibilité de faire pousser des espèces exotiques que l’on pourrait ensuite commercialiser en Suisse.

A l’aide de la culture in vitro, la multiplication de la pomme de terre est 100 fois plus rapide qu’en pleine terre © Agroscope, Carole Parodi
A l’aide de la culture in vitro, la multiplication de la pomme de terre est 100 fois plus rapide qu’en pleine terre © Agroscope, Carole Parodi

Au-delà des frontières

La conservation de la biodiversité agricole végétale dépend d’une bonne collaboration entre la banque de gènes d’Agroscope et des organisations locales, mais aussi de partenariats à l’international. A travers le « Plan d'action mondial pour les ressources
phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture », la Suisse et plus de 150 autres pays se sont ainsi engagés à préserver ensemble les plantes cultivables du monde entier. C’est dans ce sens qu’a été bâtie la Chambre forte semencière mondiale à Svalbard, dans le permafrost norvégien. « L’Arche de Noé végétale », comme elle a été surnommée, consiste en un bunker hautement sécurisé, alimenté par les banques de gènes du monde entier, qui envoient régulièrement des duplicata de graines à mettre à l’abri. 10 422 accessions de semences ont déjà été déposées à Svalbard par la banque de gènes d’Agroscope afin de constituer une sauvegarde du patrimoine phytogénétique de la Suisse.

L’entrée de la Chambre forte semencière mondiale à Svalbard (Norvège), abritant des duplicata de graines confiés par les banques de gènes du monde entier © Agroscope, Michael Gysi
L’entrée de la Chambre forte semencière mondiale à Svalbard (Norvège), abritant des duplicata de graines confiés par les banques de gènes du monde entier
© Agroscope, Michael Gysi

 

« Conserver des ressources génétiques n’a de sens que si l’on est capable d’identifier celles-ci », insiste Eric Droz. Ainsi, l’identification des échantillons conservés joue un grand rôle dans la collaboration internationale pour la préservation de la biodiversité agricole végétale. C’est un véritable travail de détective qu’entreprennent donc Eric Droz et ses partenaires européens : « l’analyse à laquelle nous recourons est aussi employée en criminologie et pour les tests de parenté ; elle nécessite de comparer de nombreuses données avec celles d’autres laboratoires. » Afin de dresser le profil génétique des échantillons végétaux, les scientifiques examinent des fragments d’acide désoxyribonucléique (ADN) – appelés marqueurs moléculaires – indiquant le degré de ressemblance entre deux plantes. Cela leur permet de démasquer des échantillons enregistrés sous de faux noms mais aussi de révéler des similitudes entre deux variétés nommées différemment : il s’est avéré par exemple que la pomme de terre connue en Suisse sous le nom de « Blaue Österreich » s’appelle « Bleue d’Auvergne » en France, « Karjalan Musta » en Suède et « Skerry Blue » en Allemagne …