En Suisse, le futur de la mobilité s’écrit à l’hydrogène
Des véhicules qui n’émettent que de la vapeur d’eau pour tout polluant? C’est désormais possible grâce à l’hydrogène. Depuis plus de dix ans, la Suisse est le laboratoire à ciel ouvert de cette énergie renouvelable prometteuse. Plusieurs projets d’envergure menés par les Ecoles polytechniques, les acteurs de la distribution et les start-up sont aujourd’hui mâtures. Ils positionnent ainsi le pays à l’avant-garde d’une révolution verte.
C’est l’une des réponses les plus prometteuses à la lutte contre le réchauffement climatique. Face à l’enjeu de la décarbonisation de notre planète, la longue quête vers une énergie non polluante se matérialise aujourd’hui dans l’«hydrogène vert», comme l’ont baptisé les chercheuses et les chercheurs. C’est-à-dire un hydrogène obtenu uniquement à partir de sources renouvelables. Depuis près d’une décennie de recherches et sous l’impulsion d’entreprises privées, l’hydrogène offre désormais des pistes révolutionnaires dans un secteur clé de la lutte contre le réchauffement climatique: la mobilité.
La Suisse est le terrain d’expérimentations de cette innovation. Le pays est en effet le premier du monde à tester cette nouvelle forme de mobilité zéro émission sur le plan national après avoir conçu tout l’écosystème qui va avec. En Europe, d’autres pays lui emboîtent le pas. A l’instar de l’Allemagne et des Pays-Bas. Si la Suisse joue les pionnières dans l’«hydrogène vert», c’est qu’elle dispose de la plus grande quantité d’énergie électrique issue d’une source hydraulique. De plus, le pays jouit d’autres sources d’énergie renouvelable en suffisance pour assurer la production d’« hydrogène vert». Mais comment utiliser cette énergie pour faire rouler un véhicule électrique qui ne rejette que de la vapeur d’eau pour tout polluant?
Zéro émission
Comme l’explique dans Le Temps le journaliste spécialisé dans l'automobile Philippe Clément, «il faut procéder à ce que l’on appelle la fracturation hydraulique». Ce procédé vise à produire de l’hydrogène (H2), du monoxyde de carbone (CO) et du dioxyde de carbone (CO2) en cassant des molécules d’eau (H2O) à haute température. L’opération se poursuit par une étape de purification pour ne garder que l’hydrogène pur. « Une fois dans le véhicule, l’hydrogène est poussé à forte pression à travers un catalysateur en platine qui le divise en deux ions hydrogène (H+) et deux électrons, qui servent à alimenter le moteur électrique du véhicule. Les ions H+ sont, eux, combinés à l’oxygène de l’air pour reformer de l’eau, rejetée sous forme de vapeur. C’est le principe de la pile à combustible».
Plusieurs entreprises et jeunes pousses suisses sont devenues expertes dans la production de cette technologie. A l’instar de GreenGT. Depuis sa fondation en 2008, l’entreprise vaudoise propose différentes solutions de propulsion électrique-hydrogène de haute puissance pour l’industrie du transport et des sports mécaniques. Au mois de septembre 2020, GreenGT a présenté sa quatrième voiture de course, la H24, développée spécialement pour les 24 heures du Mans.
L’enjeu de l’approvisionnement
La voiture de course H24présente la particularité d’être propulsée par l’énergie dégagée par l’oxydation générée par la rencontre oxygène/hydrogène via une pile à combustible. Cette énergie est ensuite transformée en électricité qui va alimenter directement les moteurs électriques à l’avant et à l’arrière de la voiture. Le secret de cette innovation se niche donc dans la pile à combustible. Cette dernière est en effet une alternative complémentaire à la technologie de batterie traditionnelle. L’autonomie et le temps de recharge des véhicules électriques à pile à combustible avoisinent ceux d’une voiture à essence, à la différence qu’ils n’émettent pas la moindre émission de CO2. De quoi séduire plusieurs constructeurs comme Toyota, Daimler et Volvo pour ne citer qu’eux.
Tout l’enjeu réside dans l’approvisionnement et la possibilité de produire de l’hydrogène, à savoir réaliser l’électrolyse de l’eau en utilisant de l’électricité produite de manière renouvelable. En Suisse, les stations-services se comptent sur les doigts d’une main. En octobre 2016, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa) avait mis en service à Dübendorf (ZH) la première station à hydrogène avec une pression adaptée aux voitures (700 bars). Un mois plus tard, Coop inaugurait à Hunzenschwil (AG) une station-service à hydrogène publique. Afin que cette technologie s’émancipe, il faut que les sites d’approvisionnement se démocratisent.
La grande distribution et les acteurs des GreenTech s’allient
Pour GreenGT, c’est un préalable indispensable avant le grand changement: soit la conversion des véhicules à essence et au diesel vers l’hydrogène. En France, où elle est également présente, GreenGT a signé un contrat avec Carrefour afin d’équiper plusieurs camions 44 tonnes en hydrogène. En Suisse, GreenGT prépare un camion 40 tonnes pour Migros Genève et d’autres acteurs comme Avia, Coop, Coop Mineraloel, Migrol, Agrola et Fenaco ont annoncé en mai 2018 leur intention de convertir une grande partie de leurs flottes de poids-lourds à l’hydrogène d’ici à 2023. Le projet qui les réunit, et baptisé Mobilité H2, matérialise cette ambition. Ensemble, les sept entreprises exploitent plus de 1500 stations-services et disposent d’environ 1700 poids lourds. Elles se disent en mesure de gérer conjointement le développement d’une infrastructure de distribution d’hydrogène à l’échelon national.
L’hydrogène ne révolutionne pas seulement la mobilité. Il offre des solutions prometteuses dans d’autres secteurs, notamment dans le stockage d’énergies renouvelables. En effet, quel propriétaire de panneaux photovoltaïques n’a jamais rêvé de stocker sa production d’énergie renouvelable d’une saison à l’autre? A l’heure actuelle, les batteries les plus performantes du marché ne permettent pas de stocker l’énergie au-delà de quelques jours. Beaucoup de propriétaires se sont donc résolus à injecter leur surplus de production dans le réseau. Mais cette solution les rend dépendant de leur gestionnaire de réseau et du prix de rachat que ce dernier propose. Ce casse-tête énergétique sera bientôt de l’histoire ancienne.
Stockage du surplus d’énergie
A Sion, GRZ Technologies développe un nouveau type de batteries longue durée. Cette start-up issue de l’EPFL Valais a rendu possible le stockage du surplus d’énergie solaire produite durant l’été pour l’utiliser lors de la saison hivernale. Pour y parvenir, l’énergie électrique, produite par des panneaux photovoltaïques, sera stockée sous forme d’hydrogène durant l’été pour être réutilisée selon les besoins en hiver sans passer par le réseau.
Le secret de cette innovation se niche dans un alliage de métaux capable de stocker efficacement de l’hydrogène. C’est tout le génie de GRZ Technologies cofondée en 2017 par Noris Gallandat, Claudio Ruch et le professeur Andreas Züttel. Le principe du stockage de l'énergie sous forme d'hydrogène n’est pas nouveau, mais il aura fallu longtemps pour que des applications concrètes voient le jour. GRZ Technologies défrichent donc de nouveaux territoires puisque son savoir-faire permet désormais de stocker une densité d’hydrogène largement supérieurs à une bonbonne classique. Et sans danger d’explosion.
Mais comment? L'hydrogène est absorbé dans un matériau poreux qui a l’avantage de stocker six fois plus d’énergie qu’une batterie lithium-ion et disposent d’une meilleure autonomie. Contrairement aux piles classiques, elles ne se déchargent pas si l’on ne s’en sert pas. Elles supportent de fortes variations de température et peuvent avoir une longue durée de vie. En outre, elles ne rejettent que de la vapeur d’eau.
La start-up sédunoise ne s’en cache pas. Il y a un fort potentiel pour sa technologie. Elle mise sur le stockage stationnaire, mais il y a énormément d’applications potentielles, notamment dans la mobilité, les voitures à hydrogène, le transport maritime. Le cofondateur de GRZ Technologies ne cache pas non plus ses grandes ambitions à moyen terme de devenir le fournisseur majeur de stockage en Suisse, puis en Europe. Une ambition réaliste. Selon le rapport d’un consortium de gaziers européens, un réseau d’acheminement de l’hydrogène d’une longueur de 23'000 kilomètres traversera l’Europe d’ici à 2040. Cette «colonne vertébrale» reliera les sites de production d’une dizaine de pays, dont la Suisse.
Cover image: au mois de septembre 2018, l’entreprise vaudoise GreenGT a présenté sa quatrième voiture de sport, la H2 Speed, développée en collaboration avec Pininfarina. Une voiture de course donc, mais qui roulera sur les circuits grâce à son moteur électrique-hydrogène © GreenGT