Il y a 150 ans ouvrait sur le Rigi la première ligne de train de montagne d'Europe
Les trains à crémaillère font partie de l'histoire glorieuse et iconique de la Suisse. Retour en images et en archives sur la construction du premier d'entre eux, dans les Alpes, entre les cantons de Lucerne et Schwytz.
Construit en à peine deux ans, le plus ancien chemin de fer à crémaillère d’Europe célèbre ses 150 ans au Rigi cette année. Pourtant pas particulièrement haute (1797 mètres d'altitude), le Rigi est sans aucun doute la montagne la plus mythique de la région, tout simplement parce qu'elle a ouvert la voie au tourisme alpin en Suisse et plus tard sur tout le continent.
Véritable pionnière
Un train ne peut pas gravir une pente supérieure à 4%, il faut faire appel à un système d'engrenage. L’ingénieur suisse Niklaus Riggenbach est le premier en Europe à construire un train à crémaillère. La ligne Vitznau-Rigi a ainsi été inaugurée le 21 mai 1871, en présence « d’innombrables personnalités du monde de l’économie et de la politique » venus pour «voir cette merveille de technologie franchir pour la première fois les quelque 1100 mètres d’altitude», raconte la Neue Zürcher Zeitung. Parmi ces invités, deux journalistes du quotidien zurichois, dont l’un y racontera son trajet (en lettres gothiques).
Il balaie notamment les craintes exprimées par certains observateurs, jugeant l’entreprise – un train à flanc de précipice faisant appel à une technologie nouvelle – bien trop risquée: « Dès que le premier wagon a été embarqué, sous la direction personnelle de Monsieur le directeur Riggenbach, un sentiment de sécurité totale a rapidement pris possession de tous ses occupants.»
Plus sûr qu’un chemin de plaine
C’est d’ailleurs également ce que s’attelle à démontrer un correspondant du Journal de Genève en juillet de la même année. « J’ai pu m’assurer qu’il existe encore de nombreux préjugés, qui empêchent bien des touristes de faire usage de ce chemin de montagne […] Je puis dire en toute conscience que le chemin du Rigi me paraît plus sûr qu’aucun chemin quelconque de la plaine. Je ne l’aurais pas cru, il y a huit jours. » La locomotive est ainsi précédée d’un « montagnard leste et vigoureux » relayé tous les quart d’heures, « pour servir d’éclaireur. Il est à vingt pas en avant du convoi; il ne court jamais, mais il allonge le pas. »
Voie vers le tourisme alpin
Cette ligne de train de 5 kilomètres, pour une heure de trajet environ, permet un essor du tourisme dans la région. Elle fait vite des émules. Quatre ans plus tard, une autre ligne partant cette fois d’Arth, dans le canton de Schwytz et rejoignant également le Rigi est inaugurée (les deux compagnies fusionneront en 1992). L’engouement pour ces trains à crémaillère se répand dans les Alpes et culminera avec la construction du chemin de fer de la Jungfrau, à 3454 mètres d’altitude, débuté en 1898 et achevé en 1912.
L’exemple du Rigi ne suscite pas uniquement de l’intérêt dans les montagnes. A Lausanne, dans le canton de Vaud avant même l’ouverture de la ligne Vitznau-Rigi, les autorités étudient le système de Niklaus Riggenbach, pour le projet de métro Lausanne-Ouchy. Cette solution entre en compétition avec un système à air comprimé et un autre «au moyen d’un câble », explique La Gazette de Lausanne, le 14 avril 1971. Au final c’est bien la crémaillère, qui a démontré sa fiabilité au Rigi, qui sera retenue.
Esprit pionnier
Inventé il y a 150 ans, le système de crémaillère développé par Niklaus Riggenbach est aujourd'hui encore l'un des systèmes de crémaillère les plus utilisés en Europe. Il permet de gravir des pentes atteignant une déclivité de près de 50%. La Suisse a ainsi su conserver et entretenir l'héritage de Riggenbach. Elle reste aujourd'hui un pays à la pointe de cette technologie, exploitant 40 lignes de chemins de fer à crémaillère.
Article initialement publié dans le journal Le Temps, Florian Fischbacher avec l'ATS, 21 mai 2021