Joseph Favre, pionnier suisse de l'excellence culinaire
Cuisinier et écrivain culinaire suisse longtemps inconnu du grand public, Joseph Favre trouve enfin la place qu’il mérite dans l’histoire mondiale de la cuisine.
Dès 1865, le valaisan Joseph Favre (1844-1903) parcourt l’Europe en travaillant dans les grandes maisons de l’époque pour se perfectionner dans son métier de cuisinier. Il s’installe définitivement dans la région parisienne en 1883. Original, indépendant et érudit, il introduit la science culinaire hygiénique dans la cuisine, écrit le premier Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire et fonde l’Académie culinaire de France. Il a fallu près d’un siècle pour qu’il passe de l’ombre à la lumière. À son hommage se tient le Grand Prix Joseph Favre, dont la prochaine édition aura lieu le dimanche 25 novembre au CERM à Martigny. Ce concours de cuisine de haut niveau a lieu tous les deux ans et réunit cinq candidats sélectionnés sur dossier, un jury européen de prestige ainsi qu’un public de mille personnes, composé d’épicuriens et de personnalités de l’hôtellerie et de la gastronomie helvétiques.
Années d’apprentissage et de perfectionnement
Né à Vex le 22 février 1844, Joseph Favre suit une formation de cuisinier à Sion. En 1865, il commence ses pérégrinations européennes, qui vont le conduire d’abord à Paris, puis à Wiesbaden et Londres, avant de revenir à Paris. Dès 1872, on le retrouve en Suisse, où il travaille notamment à Lausanne, Clarens, Fribourg, Lugano, Bâle et Bex ainsi qu’au Rigi. En 1880, il repart à l’étranger pour travailler à Berlin puis à Cassel, avant de s’installer dans la région parisienne en 1883.
Activité politique et retour à la science culinaire
Joseph Favre s’engage en politique : en 1872, il adhère à la Fédération jurassienne, qui représente l’anarchisme dans la Suisse de l’époque. Il rencontre Bakounine, qui s’est réfugié dans le canton du Tessin et il crée pour lui le pouding « Salvator » lors d’un repas réunissant des personnalités importantes du mouvement libertaire, dont l’Italien Errico Malatesta, Elisée Reclus et Arthur Arnould. L’activité politique de Joseph Favre se poursuit dans un esprit résumé par l’axiome « La philosophie politique est toujours en rapport avec la philosophie pratique. » Il crée avec deux autres militants le journal L’Agitatore, qui paraîtra pendant deux mois. Mais son engagement politique est de courte durée. En 1876, aux côtés de son ancien compagnon Benoît Malon, il s’oppose à la ligne insurrectionnaliste des anarchistes italiens. Il quitte l’Internationale antiautoritaire peu de temps après et se retire graduellement de l’activité politique.
Création du journal La Science culinaire et premiers écrits sur la cuisine hygiénique
En 1878, Joseph Favre édite le premier périodique hebdomadaire de cuisine écrit par un cuisinier. Pendant les six années durant lesquelles ce journal est publié, il consacre une grande partie de son temps libre et de son énergie à son écriture. Ce journal lui permet de mettre en place la plupart de ses idées de progrès pour l’art culinaire et d’introduire et de promouvoir les règles de la cuisine hygiénique, un concept nouveau pour l’époque, qui englobe tout ce qui touche à l’hygiène et à l’hygiène médicale, en particulier dans la cuisine. La cuisine hygiénique inclut par exemple la fraîcheur et la qualité des aliments cuisinés ainsi que leurs bienfaits sur la santé. Durant toute sa vie, Joseph Favre consacre de nombreux écrits à cette problématique. L’art culinaire, c’est bien ; la science culinaire, encore mieux, mais c’est la cuisine hygiénique qui deviendra son véritable objectif de vie.
Initiation puis fondation de l’Académie culinaire de France en 1888
En 1879, il appelle dans son journal à la création d’une société internationale de cuisiniers organisée en sections locales sous le nom d’Union. En 1882, une section est fondée à Paris. Elle deviendra en 1888 l’Académie de cuisine de Paris, avec Joseph Favre comme premier secrétaire. Cette institution a pour but de donner le plus grand essor possible au développement de l’art culinaire grâce à l’étude de toutes les sciences qui se rattachent à l’alimentation, et de faire de cet art une science. L’objectif est de mettre la cuisine hygiénique au service de la santé publique. Son appellation définitive d’Académie culinaire de France n’apparaît qu’au milieu du XXe siècle, avec Joseph Favre comme fondateur officiel.
Publication du Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire
La plus grande œuvre de Joseph Favre est la publication de son Dictionnaire universel de cuisine et d’hygiène alimentaire en quatre volumes, dont la datation précise est impossible du fait que la page de titre ne mentionne aucune date de publication. La date de la première édition est estimée entre 1889 et 1895. Ce dictionnaire est finalement augmenté dans une deuxième grande édition corrigée par l’auteur et publiée en 1903 sous le nouveau titre de Dictionnaire universel de cuisine pratique. Encyclopédie illustrée d’hygiène alimentaire. C’est un ouvrage majestueux, comportant quelque 2000 pages de définitions et d’articles et plus de 6000 recettes de cuisine. Le dictionnaire porte un regard nouveau sur la cuisine en racontant l’histoire et l’origine des produits et en parlant de la valeur nutritionnelle des aliments et du comportement alimentaire.
Disparition dans l’anonymat et réhabilitation
Joseph Favre est mort dans l’indifférence le 17 février 1903. Un homme, un journal, une académie de cuisine, un dictionnaire, et quoi encore ? Une conception du travail à la recherche de la perfection culinaire. Pour Joseph Favre, « la cuisine ayant été successivement barbare, gloutonne et gourmande, a été et reste le véhicule de la civilisation. Elle marque ses phases à travers les évolutions humaines, mieux qu’aucune histoire écrite. » Il a fallu près d’un siècle aux historiens de la cuisine pour redonner à Joseph Favre la place qu’il mérite vraiment.